Quand les principes du droit français du travail rencontrent le droit international

Cass. Soc., 8 février 2012, n°10-27.940 (REJET)

Avec l’Union Européenne, l’uniformisation des droits des pays membres et l’espace Schengen, expatrier ses salariés dans un de ces pays est devenu progressivement de plus en plus aisé. Cependant, des progrès restent encore à faire, notamment au niveau de certains principes de droit nationaux pouvant parfois entrer en conflit, mais aussi concernant la reconnaissance par certains pays, de la valeur juridique des décisions rendues par les juridictions étrangères.

Cet arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 8 février 2012 (Cass. Soc., 8 février 2012, n°10-27.940 (REJET)) pose la question de l’effectivité du principe de l’unicité de l’instance devant le Conseil de prud’hommes pour des litiges relatifs aux contrats de travail à l’échelle européenne.

En l’espèce, un salarié est expatrié en Espagne dans une filiale de la société qui l’emploi. Le contrat de travail initial est suspendu et un contrat de travail local est conclu avec la filiale. Plus tard, le salarié est rapatrié en France suite à une décision de la société-mère. Ce dernier refuse. Il est alors licencié par la filiale espagnole et peu de temps après par la société-mère pour faute grave.

Il saisit alors le juge espagnol (Juzgado social) afin de contester la rupture de son contrat de travail et d’obtenir des dommages-intérêts. Ce dernier ne fait pas droit à sa demande en constatant que le demandeur s’est rendu coupable d’actes de concurrence déloyale. Il fait alors appel de cette décision devant le Tribunal superior de Catalunya qui confirme la décision de première instance. De fait, le demandeur saisit le Conseil de prud’hommes français en vue de contester la rupture de son contrat de travail mais cette fois par la société-mère. L’affaire est ensuite transmise à la juridiction d’appel qui accepte d’en connaitre et donne gain de cause au demandeur. La société défenderesse se pourvoi alors en cassation de cette décision.

La société française, fait valoir, en se fondant sur le principe procédural de l’unicité de l’instance, que l’affaire a déjà été jugée par le juge espagnol. En effet, ce principe exige que tous les litiges relatifs au même contrat de travail doivent être jugés au cours de la même instance. Cet argument semble étrange tant il apparait évident que le juge espagnol n’a tranché que la question de la rupture du contrat de travail passé en Espagne auprès de la filiale espagnole, et non pas sur la question de la rupture du contrat de travail liant le demandeur et la société-mère en France. Pour elle, les actions devant le juge espagnol et le juge français ne dérivent en fait que d’un seul et même contrat de travail, concernant les mêmes parties et ainsi, le principe d’unicité de l’instance s’oppose à la recevabilité de l’action du demandeur auprès du juge national ; les modalités d’exécution et de rupture du contrat de travail espagnol étant déterminées par l’avenant au contrat de travail français qu’avait le salarié avec elle, entretenant de fait un lien de subordination du salarié envers elle. La société ajoute que, l’Espagne et la France étant des Etats membres de l’Union Européenne, la décision rendue par le juge espagnol doit produire des effets en France, sans qu’aucune procédure de transposition ne soit nécessaire. Dès lors, la Cour d’appel aurait pris une décision erronée en considérant que le constat par le juge espagnol d’actes de concurrence déloyale ne pouvait être rapporté devant les tribunaux français.

La principale question émanant de cet arrêt se pose de savoir si le principe d’unicité d’instance peut être opposé à la recevabilité d’une action prud’homale ayant été déjà été introduite devant les juridictions d’un Etat membre de l’Union Européenne qui encadre ce genre de conflits entre les droits des Etats membres. La question subsidiaire se rattache à la valeur donnée aux décisions de justice rendues par les juridictions nationales des Etats membres de l’Union, au sein du système juridique français.

La Cour de cassation rejette le premier moyen en affirmant que le principe d’unicité ne s’oppose pas au déclenchement d’une action devant la juridiction prud’homale, quand bien même la même action aurait été introduite devant une juridiction étrangère. Du reste, elle rejette l’argumentation de la demanderesse tendant à prouver qu’il s’agissait d’un litige relatif au même contrat de travail. Par ailleurs, elle estime que la Cour d’appel a justement fait remarquer que ni les parties, ni l’objet n’étaient les mêmes au cours des deux instances et que la question tranchée par la juridiction espagnole était sans rapport avec celle soumise au juge français. Elle rejette donc le pourvoi.

Ainsi dorénavant, les salariés dont l’entreprise d’accueil à l’étranger rompt le contrat de travail local, et ayant déjà exercé une action pour contester la rupture auprès des juridictions locales, disposent de possibilités de recours juridiques devant les tribunaux français contre l’entreprise qui les a expatrié si le contrat de travail passé avec elle et auparavant suspendu, est rompu pour les mêmes raisons que le premier. Le principe d’unicité de l’instance ne fera pas obstacle à cette action en justice car il ne s’agit, aux yeux des tribunaux français, ni du même contrat (quand bien même les deux contrats entretiennent des liens de subordination) ni de la même affaire. Par ailleurs, les conclusions tirées par les juridictions étrangères lors du jugement rendu au sujet de la rupture du contrat local, ne seront pas prises en compte dans la décision au sujet du deuxième contrat.

Source : http://www.courdecassation.fr/publications_26/arrets_publies_2986/chambre_sociale_3168/2012_4099/fevrier_4131/436_8_22254.html

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